La nuit a été courte pour Boris Nemtsov. L’ancien vice-premier ministre de Boris Eltsine, et maintenant opposant politique, a en effet été arrêté le 6 mai à l’issue d’une manifestation ayant rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes pour dénoncer l’assermentation « illégitime » de Vladimir Poutine. Il a finalement été libéré après le paiement d’une amende de 1000 roubles (33 $).
L’homme a maintenant l’habitude de ce genre de harcèlement dont sont souvent victimes les « ennemis du régime ». Il a déjà été appréhendé des douzaines de fois dans des conditions similaires. Mais c’est la première fois qu’il a été battu par la police, affirme-t-il, contusions à l’appui. Un signe clair, selon lui, que le retour de Vladimir Poutine au poste de président marque la fin de la récréation et le retour de la méthode forte.
Nemtsov n’est pas seul. Plus de 400 opposants ont été appréhendés sans ménagement par les forces de l’ordre, présentes en grand nombre à la « Marche des millions », la manifestation de l’opposition organisée sur la place Bolotnaya à Moscou le 6 mai, à la veille de l’assermentation de Vladimir Poutine. Le jeune chef du front de gauche, Sergueï Oudalstov, est même arrêté sur la scène au milieu du discours qu’il prononçait devant des dizaines de milliers de personnes.

La manifestation, qui a dégénéré en affrontements entre opposants et forces de l'ordre, s'est soldée par plus de 400 arrestations. Source : Radio-Canada
En soirée, tous les journaux télévisés russes s’ouvrent sur ces images des affrontements violents, où l’on voit des manifestants lancer des projectiles de toutes sortes vers la police et les agents des forces spéciales du ministère de l’Intérieur (OMON). Ceux-ci ont répliqué en frappant à coups de bâtons et en traînant sans ménagement les opposants vers des fourgons cellulaires.
C’est la première fois qu’une manifestation de l’opposition dégénère depuis le début de ce mouvement citoyen, en décembre. Le mouvement vise à dénoncer les fraudes électorales. Alors que beaucoup accusent les forces de l’ordre d’avoir réagi outre mesure, Dmitri Peskov, l’attaché de presse de Vladimir Poutine, trouve au contraire la réponse de la police trop douce. Il affirme dans une entrevue à la chaîne indépendante Dozhd TV qu’il aurait aimé une riposte plus musclée. Parmi les opposants arrêtés, tous les jeunes hommes ayant moins de 27 ans se sont vu remettre des papiers de conscription. En plus de l’amende, ils devront faire leur service militaire…
Fraîchement libéré, Boris Nemtsov a à peine le temps de s’asseoir à la terrasse du populaire bistrot français « Les Z’amis de Jean-Jacques » sur le boulevard Nikitsky, au centre de Moscou, pour discuter avec ses amis des événements du 6 mai, que les policiers des forces spéciales débarquent sans crier gare. L’homme est arrêté sans ménagement pour une deuxième fois en moins de 24 heures comme tous les clients du restaurant et, plus généralement, tous ceux qui osent porter un ruban blanc, symbole des opposants à Vladimir Poutine, le jour de l’assermentation de l’homme fort de Russie. Un correspondant de Radio Free Europe a filmé la scène et mis la vidéo en ligne ici :
Peu après commence la cérémonie d’assermentation du nouveau président. C’est une réussite. Sous les chandeliers dorés de l’ancienne salle du trône au Kremlin et devant plus de 2000 invités triés sur le volet, Vladimir Poutine prête serment sur la constitution russe jurant de défendre les droits et libertés des citoyens.

L'assermentation de Vladimir Poutine s'est déroulée dans l'ancienne salle du trône au Kremlin. Source : Kremlin
Pendant ce temps, à l’extérieur, pour s’assurer qu’aucun trouble-fête ne viendra gâcher le spectacle, les policiers ont fait évacuer tout le centre-ville autour du Kremlin. Rues et artères majeures bloquées, une douzaine de stations de métro fermées, policiers, militaires et agents des forces spéciales déployés par milliers dans les rues de la ville pour vider des trottoirs de tout opposant. Encore 300 personnes arrêtées…
Les dissidents ne désarment pas. Sitôt relâchés, ils se rassemblent depuis nuit et jour sur l’une ou l’autre place de la ville pour jouer de la guitare et scander des slogans contre le régime. Jouant au chat et à la souris avec les forces de l’ordre, ils bougent en permanence, utilisant les réseaux sociaux pour se coordonner. Ils sont jeunes (leurs chefs, comme Sergueï Oudaltsov et Ilïa Ïachine, ont à peine plus de 30 ans). Ils n’ont, pour la plupart, pas de souvenirs de l’URSS et n’ont pas de complexes. Ils n’ont certes pas la force ni les moyens de l’État, mais sont fluides et déterminés. À la force prônée par le régime, ils opposent la flexibilité.
Le chêne et le roseau…
Et comme dans la fable de Lafontaine, ils sont convaincus que la trop grande rigidité de Vladimir Poutine causera à terme sa perte, incapable de s’adapter à une Russie qui a évolué plus vite que lui.